mercredi 8 mai 2013

Routine

La tête appuyée contre la vitre, j’essaye de m’enfoncer un peu plus dans la lecture de mon livre. La sublime horreur que dégage Maldoror essaye d’éclipser dans mon esprit l’odeur infâme qui assaille mes narines. Un mélange de sueur, de frites de mauvaise qualité et de vinasse douteuse. Mon bedonnant voisin empiète sur mon siège et s’étale dans une conversation bruyante et inintéressante, pendu à son téléphone.

 Je haïs les transports en commun.

Descendant à mon arrêt, je m’empresse d’allumer une cigarette, encore debout au milieu du quai. La fumée embrase ma gorge, avant de filer lentement par mes narines. Les gens me bousculent, une femme essayant désespérément de faire rentrer une poussette dans le tramway bondé me fusille du regard. Visiblement, je la gène. Je la regarde avec indifférence avant de reprendre ma route.

Les clés tournent dans ma serrure, la porte s’ouvre, révélant le spectacle de désolation se tenant dans mon salon. Les vestiges de la veille. Une odeur de cigarette, d’herbe et de fluides corporels. Quelques fringues, encore éparpillées, un cendrier débordant, une bouteille de vin vide renversée. Son étiquette indique fièrement son origine.

           « Mombazillac. 1990 »

Je ne peux esquiver le bref sourire qui étire mes lèvres. Le vin était un liquoreux correct. Je n’ai fais que recoller pour la huitième fois la même étiquette. Et elle a marché. Ce n’était pas exceptionnel, mais des plus plaisant. Elle est partie ce matin. Je lui ai promis de la rappeler. Je ne le ferais probablement pas. Non. Je ne le ferais pas.

Je m’enfonce sous la douche, laissant l’eau brulante me purifier de la crasse citadine, laissant mes pensées morne s’écouler à travers le siphon. Elles reviendront bien vite. Le temps n’a pas de signification lorsque je suis là, mon esprit de perd, les idées s’accumulent. Tout comme les dépenses sur ma facture d’eau…

Le repas est vite préparé. Des nouilles chinoises, chauffant au micro-onde. Normalement, je suis un fanatique de la cuisine. C’est une chose sacrée pour moi. Mais pour l’heure, je n’ai pas la foi. Je préfère manger mon bol de nouille de mauvaise qualité, en tailleur sur mon canapé, en regardant une chaine d’information quelconque. Un attentat. Interpellations entre députés à l’assemblée nationale. La tradition du tressage de panier en osier au fond de la campagne. Pathétique.

Transport en commun. Encore. Cette fois ci, j’ai réussi à n’avoir personne à coté de moi, et je peux lire tranquillement, consacrer tout mon esprit à l’ouvrage. La scène est horrible. Textuellement, l’auteur ne s’étend par sur cette vision impure. Je vais en faire de même. En face de moi, une femme, saoule, essaye de me demander ce que je lis. Je lui explique que c’est vaguement de la poésie. En prose. Non, ce n’est pas romantique. C’est sombre, c’est malsain, c’est glauque. C’est beau. Elle ne comprend pas. Peu importe.

Assis à un tabouret du bar, mes doigts faisant doucement tourner la cuillère dans mon verre d’absinthe, mes yeux détaillent l’assistance, tandis que l’air s’emplit des accords et de la voix de Jimmy Hendrix. Quelques têtes connues. Des habitués, comme moi. Un bref mouvement du crane s’échange, cela n’ira pas plus loin. J’observe quelques formes, quelques visages, quelques regards qui croisent le mien. Je reçois quelques sourires. Sobrement, je n’y réponds pas. Il n’y a que ce nectar verdâtre qui compte pour le moment, s’écoulant lentement dans mon organisme, et m’assommant déjà. Non, ce soir, je n’ai pas la force. Je n’ai pas la foi. Je me contente de regarder l’écran de l’antiquité qui me sert de téléphone, attendant une funeste nouvelle qui doit tomber depuis des mois. Mais elle n’arrive pas.

Chaque soir, ce rituel se répète. Moi, dans ce bar, buvant, seul. Mon téléphone posé devant moi, que je fixe d’un air dépité.
Chaque soir, après avoir terminé mon absinthe, je commande un cocktail. Un Pixies, en général. Deux absinthes différentes. De la liqueur de melon. Quelque chose dont je n’ai jamais compris la nature exacte, sans alcool, pour se donner bonne conscience, en diluant un peu le tout. Ce verre me brule la gorge.
Chaque soir, il me dure le reste de la soirée. Il me fait oublier la raison de ma présence ici. J’oublie que je bois pour oublier.
Chaque soir, mes doigts commencent à doucement frapper sur le comptoir de bois brut, en rythme avec la musique qui passe. Peu à peu, mon corps s’agite, et me prend une irrésistible envie de danser, de m’élancer au milieu de la foule, de bouger frénétiquement l’ensemble de mes membres. J’ai fuis ce rituel social pendant très longtemps. Désormais, il est pour moi naturel, obligatoire. Cela fait partie d’un instinct de séduction animal.
Chaque soir, quand je commence à m’agiter, que mes jambes sont parcourues de ces spasmes incontrôlables, que, mon bassin accompagne frénétiquement et souplement le rythme de la musique, que mon dos se délie lentement en basculant en arrière, quelques regards se tournent vers moi. Un groupe de jeunes femmes, assises à une table, parlent en m’observant, riant de ma façon très particulière de danser. En cet instant de communion avec la mélodie qui martèle nos oreilles, je baise sauvagement avec tous ces regards plantés sur moi. Cet acte est sexuel, orgasmique.
Chaque soir, quelques autres corps viennent se joindre au mien. Nous dansons, à distance raisonnable, j’engage parfois quelques mouvement de rock maladroit en en prenant une par la main, la faisant tourner du bout des doigts. Je danse bien mieux seul, cela ne fait aucun doute.

Quelques morceaux plus tard, lorsque la musique ne m’inspire pas particulièrement – c’est souvent du mauvais rock français – je sors sur le trottoir, m’allumant une cigarette menthol sur laquelle je tire frénétiquement, adossé au mur. Très rapidement, l’une de mes partenaires passe à son tour la porte, regardant autours d’elle et s’approche de moi avec un sourire en me demandant un briquet. Je sors un Zippo qui traine dans mes poches depuis de nombreuses années, et allume sa clope d’un geste mécanique. Sa tête bascule en arrière tandis qu’elle recrache la fumée, qui s’élève en de longues volutes vers le ciel étoilé. Et vers le balcon de cet appartement, au dessus du bar. Cet appartement, au dessus du bar. Cet appartement…

Je recentre mon esprit, oubliant son occupante que je n’ai que trop bien connue, et que je me suis efforcée d’oublier. Je détaille à ce moment là celle qui me fait face. Je vois déjà mes lèvres plaquées contre les siennes, mes doigts dégrafant habilement son corsage, la chaleur, la moiteur, l’extase. Nous ne faisons que parler, raconter des banalités sur nos vies respectives, et je la vois déjà nue au milieu de mes draps, enfonçant ses ongles dans ma peau, gémissant de plaisir au creux de mon oreille.

Je ne fais pas de grand discours, je ne lui promets pas la lune. Juste une nuit agréable en ma compagnie, qui sera probablement la seule. Je ne lui fais pas, à elle, le coup de la bouteille de vin. Les choses sont simples, naturelles, quand nous arrivons à mon appartement. Nos corps s’emmêlent jusqu’à tard dans la nuit. Elle part au petit matin, après un dernier baiser, fugace, sans saveur, inexpressif.

Une autre journée commence.

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