J’en
passe la majeure partie derrière un bureau, à taper des chiffres dans des
colonnes, à lire des factures, et les enregistrer sur l’ordinateur qui me fait
face. C’est tellement simple. À tout événement est associé un document écrit.
Prix. Remise. Rabais. Ristourne. Frais de port. TVA. Il n’y a que la réalité
crue, dans ces mots et dans ces nombres. Ce n’est qu’un journal de bord
détaillé, précis, efficace. Malgré le coté répétitif de ce travail, il me
passionne. Je ne comprends pas vraiment pourquoi. Probablement parce que la
plupart des gens trouve que c’est chiant, imbuvable et incompréhensible. Dans
ce long enchainement d’opérations, il n’y a pas de place à l’émotion, au
sentiment, à l’imagination. Rien n’est plus rationnel qu’un document comptable.
Il ne fait pas pleurer, il ne fait pas rire, il ne fait pas sourire. Enfin, si,
moi, parfois.
Je
mange sur les bords de la Garonne, un sandwich au pain un peu trop sec, sans
crudités, parsemé de minuscules tranches de fromage sans gout et d’un peu de
jambon trop gras. Je regarde passer les joggeuses, leurs MP3 enfoncé dans leurs
oreilles, des couples grabataires promenant leurs chiens ridicules, des enfants
s’élançant en riant, avant que l’un d’eux ne chute de sa trottinette. Son genou
saigne, il se met à hurler. J’ai envie de le gifler. Je me contente de sourire
avant de me lever, de jeter l’emballage gras dans une poubelle et de commencer
à marcher le long du fleuve en m’allumant une cigarette.
Ce
soir là, je débauche tôt. C’est vendredi. Je fais des courses conséquentes,
anticipant un repas potable, pour une fois. De la viande rouge, des légumes que
je cuirais à la vapeur, de quoi faire une sauce correcte, une bouteille de bon
vin rouge, que je me boirais tout seul. Avec un peu de chance, je serais déjà
un peu saoul quand je terminerai mon repas. J’achète aussi un nouveau paquet de
cigarette, par anticipation. Il faudra qu’il me tienne la nuit.
Je
passe une bonne partie de mon week-end sur mon canapé, en sous-vêtements, à
regarder des morceaux de films, zappant de chaine en chaine sans aucune
cohérence. Le dimanche soir, mon salon est rempli de canettes de bières
écrasées, de cartons de plats surgelés et de mouchoirs usagés. Je regarde mon
reflet dans la salle de bain, dans laquelle je n’ai pas foutu les pieds depuis
vendredi matin. Je regarde ces cheveux en désordre, cette barbe de quelques
jours à l’entretient hypocrite, ce regard vide, cette lèvre pendante. Je crache
sur le miroir.
Le
lendemain matin, j’appelle à mon boulot. Je ne vais pas travailler. Oui. Je
serai là demain. Non. Ce n’est probablement rien de grave. Oui. Toi aussi,
bonne journée. Je me recouche dans ma chambre obscure, avant de passer l’après-midi
à trainer sur un site de rencontre, à critiquer les descriptions bancales des
femmes qui ont la mauvaise idée d’accepter de me parler. Avec l’une d’entre
elle, nous parlons littérature. J’évoque à un moment un bout de subtile
dentelle noire qui m’a attiré l’œil sur une de ses photos. Elle me répond avec
un simple smiley souriant, qui est le point final de notre échange. Le soir, je
grignote ce qui semble encore mangeable au fond de mon frigo et de mes placardx.
Cela dure trois jours. Je n’ai pas envie de sortir de chez moi. Je reste là,
déchet inutile, végétant tantôt dans son lit, tantôt devant son ordinateur,
échouant de temps à autres sur son canapé, la télévision allumée. Je n’ai plus
de cigarettes. Il me reste du whisky.
Je
fini par sortir de chez moi, jeudi, à la première heure. Je n’en peux plus du
manque de tabac. Je glisse un de ces vicieux tubes cancérigènes entre mes
lèvres sèches, embrase son extrémité, aspire lentement le poison qui vient
emplir mes poumons. Je me suis appuyé contre le mur, dés ma sortie du
buraliste, glissant doucement vers le sol. Je sens mon esprit qui se perd
pendant de longues secondes, mon corps entier s’emplit de douces vibrations, malgré
la fumée qui emplit mes poumons crasseux et brule ma gorge. Je reste là encore
quelques minutes après que la cigarette soit venue s’élancer sur le béton, son
filtre fumant légèrement, regardant le ciel empourpré par le soleil levant,
derrière les vieilles maisons de pierre.
La
journée est banale, sans saveur. Je ne prends aucun plaisir à faire mon boulot.
Pour la première fois depuis longtemps, tout cela est machinal, morne, vide. Je
regarde frénétiquement l’horloge qui ricane en voyant mon impatience.
Toute la journée, je m’emmerde profondément. J’ai envie de claquer la porte, j’ai
envie de fuir cette existence qui, à ces instant, me parait si monotone. Il y a
une semaine, je trouvais mon travail épanouissant, aujourd’hui, il est vide de
sens. J’ai envie d’hurler. J’ai envie de gifler ma collègue qui, autours du
café, me parle de son mari, de leurs deux gosses, de leur petit Théo ou de leur
petite Léa qu’ils attendent. Je regarde avec désespoir le fond de mon gobelet,
voyant son contenu descendre lentement, largement insuffisant pour me faire
tenir plus longtemps cette putain de journée. Pendant cette pause, je fume
trois cigarettes. Je ne les termine même pas, c’est purement psychologique, j’ai
besoin d’en allumer trois.
Le
soir venu, je ne peux m’empêcher d’aller échouer dans mon lieu de perdition
habituel, commençant par une éternelle absinthe. Je ne sais pas quelle quantité
de mon foutu pognon je leur file. Franchement, j’aurais mieux fait de prendre
des parts, pour rentabiliser. Comme à chaque fois, mon regard se promène sur l’assistance,
sur les jeans trop serrés, sur les hauts moulants, sur les visages souriants.
Rien de bien fascinant, ce soir.
Non.
Attendez.
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