jeudi 9 mai 2013

Pathétique.

[Suite du texte précédent, Routine.]



J’en passe la majeure partie derrière un bureau, à taper des chiffres dans des colonnes, à lire des factures, et les enregistrer sur l’ordinateur qui me fait face. C’est tellement simple. À tout événement est associé un document écrit. Prix. Remise. Rabais. Ristourne. Frais de port. TVA. Il n’y a que la réalité crue, dans ces mots et dans ces nombres. Ce n’est qu’un journal de bord détaillé, précis, efficace. Malgré le coté répétitif de ce travail, il me passionne. Je ne comprends pas vraiment pourquoi. Probablement parce que la plupart des gens trouve que c’est chiant, imbuvable et incompréhensible. Dans ce long enchainement d’opérations, il n’y a pas de place à l’émotion, au sentiment, à l’imagination. Rien n’est plus rationnel qu’un document comptable. Il ne fait pas pleurer, il ne fait pas rire, il ne fait pas sourire. Enfin, si, moi, parfois.

Je mange sur les bords de la Garonne, un sandwich au pain un peu trop sec, sans crudités, parsemé de minuscules tranches de fromage sans gout et d’un peu de jambon trop gras. Je regarde passer les joggeuses, leurs MP3 enfoncé dans leurs oreilles, des couples grabataires promenant leurs chiens ridicules, des enfants s’élançant en riant, avant que l’un d’eux ne chute de sa trottinette. Son genou saigne, il se met à hurler. J’ai envie de le gifler. Je me contente de sourire avant de me lever, de jeter l’emballage gras dans une poubelle et de commencer à marcher le long du fleuve en m’allumant une cigarette.

Ce soir là, je débauche tôt. C’est vendredi. Je fais des courses conséquentes, anticipant un repas potable, pour une fois. De la viande rouge, des légumes que je cuirais à la vapeur, de quoi faire une sauce correcte, une bouteille de bon vin rouge, que je me boirais tout seul. Avec un peu de chance, je serais déjà un peu saoul quand je terminerai mon repas. J’achète aussi un nouveau paquet de cigarette, par anticipation. Il faudra qu’il me tienne la nuit.

Je passe une bonne partie de mon week-end sur mon canapé, en sous-vêtements, à regarder des morceaux de films, zappant de chaine en chaine sans aucune cohérence. Le dimanche soir, mon salon est rempli de canettes de bières écrasées, de cartons de plats surgelés et de mouchoirs usagés. Je regarde mon reflet dans la salle de bain, dans laquelle je n’ai pas foutu les pieds depuis vendredi matin. Je regarde ces cheveux en désordre, cette barbe de quelques jours à l’entretient hypocrite, ce regard vide, cette lèvre pendante. Je crache sur le miroir.

Le lendemain matin, j’appelle à mon boulot. Je ne vais pas travailler. Oui. Je serai là demain. Non. Ce n’est probablement rien de grave. Oui. Toi aussi, bonne journée. Je me recouche dans ma chambre obscure, avant de passer l’après-midi à trainer sur un site de rencontre, à critiquer les descriptions bancales des femmes qui ont la mauvaise idée d’accepter de me parler. Avec l’une d’entre elle, nous parlons littérature. J’évoque à un moment un bout de subtile dentelle noire qui m’a attiré l’œil sur une de ses photos. Elle me répond avec un simple smiley souriant, qui est le point final de notre échange. Le soir, je grignote ce qui semble encore mangeable au fond de mon frigo et de mes placardx. Cela dure trois jours. Je n’ai pas envie de sortir de chez moi. Je reste là, déchet inutile, végétant tantôt dans son lit, tantôt devant son ordinateur, échouant de temps à autres sur son canapé, la télévision allumée. Je n’ai plus de cigarettes. Il me reste du whisky.

Je fini par sortir de chez moi, jeudi, à la première heure. Je n’en peux plus du manque de tabac. Je glisse un de ces vicieux tubes cancérigènes entre mes lèvres sèches, embrase son extrémité, aspire lentement le poison qui vient emplir mes poumons. Je me suis appuyé contre le mur, dés ma sortie du buraliste, glissant doucement vers le sol. Je sens mon esprit qui se perd pendant de longues secondes, mon corps entier s’emplit de douces vibrations, malgré la fumée qui emplit mes poumons crasseux et brule ma gorge. Je reste là encore quelques minutes après que la cigarette soit venue s’élancer sur le béton, son filtre fumant légèrement, regardant le ciel empourpré par le soleil levant, derrière les vieilles maisons de pierre.

La journée est banale, sans saveur. Je ne prends aucun plaisir à faire mon boulot. Pour la première fois depuis longtemps, tout cela est machinal, morne, vide. Je regarde frénétiquement l’horloge qui ricane en voyant mon impatience. Toute la journée, je m’emmerde profondément. J’ai envie de claquer la porte, j’ai envie de fuir cette existence qui, à ces instant, me parait si monotone. Il y a une semaine, je trouvais mon travail épanouissant, aujourd’hui, il est vide de sens. J’ai envie d’hurler. J’ai envie de gifler ma collègue qui, autours du café, me parle de son mari, de leurs deux gosses, de leur petit Théo ou de leur petite Léa qu’ils attendent. Je regarde avec désespoir le fond de mon gobelet, voyant son contenu descendre lentement, largement insuffisant pour me faire tenir plus longtemps cette putain de journée. Pendant cette pause, je fume trois cigarettes. Je ne les termine même pas, c’est purement psychologique, j’ai besoin d’en allumer trois.

Le soir venu, je ne peux m’empêcher d’aller échouer dans mon lieu de perdition habituel, commençant par une éternelle absinthe. Je ne sais pas quelle quantité de mon foutu pognon je leur file. Franchement, j’aurais mieux fait de prendre des parts, pour rentabiliser. Comme à chaque fois, mon regard se promène sur l’assistance, sur les jeans trop serrés, sur les hauts moulants, sur les visages souriants. Rien de bien fascinant, ce soir.

Non. Attendez.

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