samedi 6 juin 2015

Purgatoire

Explosion.

Je n'attend que ça.

Je suis debout, les bras ballant, au milieu de cette foule dont j'espère l'hostilité. Ils passent à coté de moi, sans vraiment s'en rendre compte. Je cherche des regards connus, des œillades méfiantes, j’attends que l'un d'eux me crache au visage.

En vain. Je ne suis qu'un badaud, anonyme dans ce vide bondé, une face lisse et insipide se mêlant aux autres.

Le sang bat contre mes tympans, coule le long de mes doigts endoloris. Je ne suis qu'un être de plus perdu au milieu de l’indifférence et de l'ignorance de cette masse grouillante.

Je porte mes mains à mon visage, griffant lentement le masque qui dissimule la crasse, la douleur, la folie, la haine. Rien. Il est fait de chair. Il repose élastiquement sur mon crane, palpitant doucement au rythme des battements erratiques de mon cœur maladif.

Alors, j'avance avec lenteur au sein de cet océan d'organismes médiocres et méprisables qui sentent la sueur, la fumée, la fatigue, l'usine, les déo bon-marchés de qualité discutable.
Ces gens qui sentent la vie, en bref.

Cette humanité.

Et, je m'en éloigne avec colère et agacement, m'adossant quelques instant à un tuteur de fortune, m'encrassant les poumons de goudron et de solitude. Tandis qu'ils sont là, à une distance raisonnable, je me permet de les juger plus en détail.

Ils rient. Ils pleurent. Ils se souviennent. Ils s'aiment. Ils espèrent. Ils se trompent. Ils regrettent. Ils pardonnent.

Ils sont si...ils sont si...

Je...je les envie parfois. J'en suis jaloux. Parce que je ne pense plus que par le péché, que par la corruption. J’attends qu'ils viennent respirer les fumées néfastes que j'expulse avec froideur, je ne fais qu’espérer qu'ils viennent chuter en contrebas, me faisant ainsi un confortable matelas de cartilages et de muscles flasques qui mettrait un terme à ma propre descente.
Je m'y vautrerai avec plaisir, avec gourmandise, avec la satisfaction délicieuse de les avoir menés jusque là.

De temps à autre, je m'amuse d'une âme en peine, je la traque, le l'attrape, je la traîne, je la traite comme une petite chose qu'il me faut modeler à ma propre image. Froide. Cynique. Critique. Caustique. Et Cætera.

Parfois, j'aimerai croire en une autorité suprême. Enfin, je veux dire, autre que moi même. Ainsi, j'aurais l'impression d'être un VRP quelconque pour une puissance supérieure et néfaste. Lucifer, Seth, Saïtan, Nyarlathothep, Méphistophélès, Monsanto, Azazel. J'aurai un plan de retraire parfait après le trépas.

Cela donnerait un sens, cela donnerait un but, pas simplement une page ou deux dans un livre de psychiatrie.

Regardez moi donc, face à vous. Ai-je l'air bien différent de telle ou telle personne que vous connaissez, que vous côtoyez, que vous adulez ou que vous méprisez, que vous aimez ou que vous haïssez. Ne sont ils pas si ridiculement normaux, humains, enfermés dans leur cage osseuse et dans leur pensée sûrement forgée par des siècles de morale, de religion, de Droit, de mode de vie et de guide de conduite.

À vous aussi, ne vous-a-t-on pas dit que l'on devait ressentir, que l'on devait avoir des émotions ? Qu'un enfant était beau, que le mensonge était odieux, que l'Amour était le plus doux des présents, que la vengeance était un leurre ?

Croyez moi, vous vous vous égarez dans vos certitudes mainte fois répétées par vos pairs, par vos parents, par vos proches, qui prétendent savoir ce que vous pouvez faire, ou non, de votre vaine existence.

Rejoignez moi donc, venez donc goûter à mes errances, venez enlacer vos propre désillusions pour mieux les plaquer au sol et les rouer de coups dans une joyeuse furie auto-destructrice. Soyez en sur, je ne serai pas avare des conseils toxiques qui vous mèneraient sur les sentiers de la perdition.

Avec un peu de chance et, plus improbable, de présence d'esprit, vous en viendrez à suffisamment me haïr pour avoir la force de me détruire. Une fois que toute vos digues morales auront explosées sous le flot grondant de l'indécence et de la démence vous pourrez mettre à bas ce colosse orgueilleux, psychotique et mégalomane qui me sert de figure publique.

Non. Non.

Ne gratte pas plus loin. Non. J'ai déjà essayé, il n'y a rien à trouver derrière. Il n'y a que des paysages arides et décharnés, parcourus pas des hyènes hurlants et affamés. Marcher jusqu'à ses frontières est trop fatiguant, mon acédie est catégorique.

Non. Arrête. Je te l'interdis.

Je cherche ma destruction, pas ma rédemption. N'essaye pas de me prétendre meilleur, moi qui ne cherche qu'à t'attirer dans des filets d'échardes et de barbelés. Je t'y veux nue et docile. Je ne veux pas de ta compassion. Je ne te veux que comme un outil de ma luxure et de ma concupiscence.

Éloigne ces mains de mon visage, ne cherche pas à effleurer mon âme. Cesse de susurrer ces douces paroles à mon oreille. Je ne les mérite pas. Je ne te...

Ne m’entraîne pas au milieu de cette foule. Ils sont trop communs. Ils sont trop vulnérables. Ils sont trop stupides. Ils sont trop heureux.

Vois, petite idiote, je commence à sourire. Je commence à rire.

Je commence à aimer. Et tu crois qu'ensuite tu va me détruire en me faisant pleurer ?

Arrête. Non. Continue.

Continue donc à me traîner dans cette délicieuse insouciance que j'ai systématiquement évité. Arrache donc couche après couche, membrane après membrane, met à nu ce qui, à ton sens doit l'être. Trouve donc une faille, va y.

Tu m'extrais de ma solitude sordide, celle où je désirai demeurer. Je vais te haïr secrètement pour cela. Et lorsque je serais assommé, hébété, par tant de douceur et de bons sentiment peut-être, je dis bien peut-être, peut-être que je me laisserait aller à quelques émotions que je supposerait de circonstance, à quelques sentiments factices et bien ficelés.

Et tu prétendra que tout cela est bien réel. Tu prétendra que, finalement, je m'était fourvoyé. Que, finalement, il est facile pour moi de m'abandonner à quelques pensées mièvres et entêtantes.


Alors, j'aurais des projets, de peindrais de cyclopéen dégradés de rose sur fond rose, non pas avec cynisme, mais avec bienveillance, je t'écrirai des lettres sur un papier doucement parfumé, qui te parlerons d'idylle, de rêve et de saine contemplation. Je te ferais un trône de tendresse, de caresse et lascivité.

Et lorsque tu m'abandonnera, aux portes de cette battisse en flamme, que j'aurai nommé "notre histoire", je finirai par lui tourner le dos pour rejoindre à pas hésitant mes rejetons ectoplasmiques qui aurons bien trop appris en mon absence.

Voilà. Ils me détruisent. Ils me dévorent. Tu m'as fais tout perdre. Surtout mon ambition qu'ils me terrassent.

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